Interview : CHO, Bonheur au Travail en tant de crise, détracteurs et injonction au bonheur.

Chloé m’a contactée pour me poser quelques questions dans le cadre de son mémoire de Master en Ressources Humaines. Son sujet : Enquête sur les impacts du Chief Happiness Officer sur le bien-être des collaborateurs dans les entreprises privées en France.

Voici sa transcription de notre interview.

Quel est ton métier exactement ? Tu n’es pas CHO ?

Je suis consultante, facilitatrice et coach en Bonheur au Travail. Au départ, je voulais faire CHO, sauf qu’il y a très peu d’offres sur le marché. En 2016, il y avait 60 offres dans toute la France, dont 40% de stages. Aujourd’hui, il y a surtout des offres d’Office & Happiness Manager, alors c’est ce que j’ai fait pendant 2 ans.

Tu traitais du bonheur des employés, quelle était la différence avec un CHO ?

Plusieurs choses. Le CHO est clairement identifié comme tel dans l’entreprise. Il peut avoir une fonction plus RH. Pour moi, c’est un mélange de RH, de communication interne et d’événementiel. La partie RH prend en compte l’ensemble de la culture d’entreprise. Pour ma part, je faisais le job d’Office & Happiness Manager, sans en avoir le titre. En fait, l’offre d’emploi à laquelle j’ai postulée était “Assistant.e administratif”. J’y avais répondu uniquement parce qu’une amie m’avait parlé de cette entreprise en m’expliquant à quel point la culture d’entreprise était dingue. J’ai donc candidaté à l’offre, en précisant que je ne trouvais pas l’intitulé de poste très sexy et que je leur proposais plutôt d’être leur Office & Happiness Manager. J’ai passé un entretien avec eux et ils m’ont dit que c’était bien que je m’intéresse au bonheur au travail, et que je pourrai mettre en place ce que je voulais parce que l’accent était mis sur l’autonomie et la confiance. En revanche, ils m’ont précisé que je n’aurai pas le titre de CHO parce qu’ils considéraient que le bonheur au travail est l’affaire de tous, et pas d’une seule personne.

Je n’étais donc pas clairement identifiée comme CHO, mais je faisais beaucoup de missions Happiness.

Quelle est la différence entre Office & Happiness Manager et Chief Happiness Officer ?

Ce qui fait la différence avec un.e CHO, c’est que dans mes missions, j’étais plus dans le côté opérationnel quand le/la CHO va s’impliquer dans la stratégie QVT.

Plus précisément, tu faisais quoi ?

Ce que je faisais, c’est que j’étais impliquée dans les événements internes, le baromètre, etc. Chaque mois j’envoyais un baromètre de satisfaction aux équipes et je traitais les résultats, que je partageais ensuite avec tous les collaborateurs.

Est ce que tu devais mettre en place des actions pour améliorer le baromètre ?

Rarement, car le taux de satisfaction était très bon. Lorsque les scores étaient moins bons, j’en parlais avec les RH ou le manager de l’équipe avec les scores en baisse. Souvent les choses étaient facilement explicables, comme un déménagement ou un grand changement dans l’équipe.

Maintenant que tu es indépendante, comment cela se passe lorsque les entreprises te contactent ?

Aujourd’hui, les entreprises me contactent principalement pour organiser des ateliers sur la pause déjeuner ou pendant des séminaires. Souvent, ce sont des start-ups qui organisent des meet-up ou des rencontres inspirantes entre midi et deux. Quand j’interviens, j’y plante “une petite graine de transformation”. C’est une mise en bouche sur ce qu’est le bonheur au travail, et comment chacun peut agir dessus. Le sujet est tellement vaste !

Est ce que tu aimerais avoir ce côté plus stratégique ?

En fait, plus que la stratégie QVT de l’entreprise, c’est comment l’humain peut être acteur de son Bonheur au Travail qui m’intéresse. C’est pour ça que je me suis formée au coaching. Aujourd’hui je fais du coaching individuel et du coaching d’équipe. J’accompagne les gens à retrouver du sens et de l’enthousiasme dans leur vie professionnelle et j’ai la chance de voir leurs objectifs se réaliser. C’est vraiment satisfaisant !

Après, pour mes ateliers, plutôt que de faire un “one shot”, je propose maintenant un package avec une chronologie définie. Par exemple, commencer par les bases du Bonheur au Travail puis explorer les talents, les valeurs de l’entreprise, etc. J’aime les ateliers en collectif parce qu’il y a une convivialité, un partage, de l’énergie.

Comment la crise a impacté ton travail au quotidien ?

Tous les évènements qui étaient sensé se faire ont été annulés.

Est-ce que tu penses que le covid a fait passer le bien être des employés au second plan ou c’est le contraire ?

Non, il ne l’a pas mis en veilleuse. Beaucoup de choses se sont passées. En fait, ce sont souvent les Office Managers qui se sont occupées du bien-être des collaborateurs pendant cette période. Qu’elles aient ou non le “Happiness” dans leur titre. Je dis “elles” parce que c’est une majorité de femmes. Elles ont travaillé très dur pour créer des activités et des rituels qui créent une cohésion au sein des équipes, qui encouragent tout le monde à prendre la parole et à ne pas être isolé dans son coin. Il y a donc beaucoup d’actions qui ont été mises en place par les Office Managers.

Pour certaines entreprises, ça a été très compliqué financièrement. C’est difficile d’investir de l’argent dans un sujet quand il y a de gros manques dans les équipes, et la réalité des licenciements, du chômage partiel et du manque de moyens. Par exemple une entreprise qui fait du chômage partiel ne va pas organiser ensuite des cours de yoga entre midi et deux ou de faire intervenir quelqu’un en psychologie positive.

Julia de Funès est une grande détractrice des CHO. Pour elle le bonheur au travail est une fiction parce que le bonheur est un état éphémère qui dépend des gens. Qu’en penses-tu ?

Je ne pense pas que ce soit un état éphémère. Je suis d’accord pour dire que cela dépend entièrement des gens. C’est complètement subjectif, mais ce n’est pas pour cela que nous ne devrions pas l’aborder dans un contexte d’entreprise. Quand je fais des ateliers, l’objectif est d’amener tous les collaborateurs à se demander ce que le bonheur au travail signifie pour soi, de découvrir ce qu’il est possible de mettre en place, en tant qu’individu, sur son propre bonheur au travail, qui va pouvoir ricocher sur les autres. Si vous avez quelqu’un qui vient et qui est heureux de venir travailler, ça donne la patate aux autres aussi, plutôt que d’avoir quelqu’un qui râle, c’est tout à fait logique.

Il y a des grands thématiques qui se rejoignent quand les collaborateurs parlent de bonheur au travail. Souvent c’est l’ambiance, le sens, le sentiment d’être utile. Je pense que c’est toujours un sujet très important à aborder dans l’entreprise. Et oui, ça fluctue. Parce qu’on n’est pas toujours heureux au travail comme on n’est pas toujours heureux dans la vie.

L’idée, c’est que si vous êtes à un niveau “Zéro” stable, qui pourrait se résumer à “bien mais pas top”, le jour où il se passe quelque chose de difficile, il y a de fortes chances de passer au niveau “- 1” qui peut être synonyme de burn-out, d’épuisement professionnel ou de dépression.

Mon travail c’est d’amener les collaborateurs au niveau “+ 1”. S’ils sont enthousiastes et heureux d’aller travailler, le jour où quelque chose ne va pas, ils vont descendre au niveau 0 au lieu d’aller directement à la case “-1”. C’est pour ça que le bonheur au travail est vraiment important pour moi.

J’ai envoyé des questionnaires à des personnes qui travaillaient, et une question était : “Selon vous, est-ce le rôle de l’entreprise de gérer le bonheur de ses employés ? ». Il y avait une grande majorité de oui, mais pour certains c’était non, parce que les gens étaient là pour travailler et non pour jouer.

Je pense que c’est la responsabilité de chacun : l’entreprise, les fondateurs, les employés. C’est le trio gagnant.

Oui, l’entreprise devrait s’en soucier, parce que c’est bénéfique pour elle. Nous sommes les mêmes humains dans notre vie personnelle et dans notre vie professionnelle, nous ne pouvons pas nous couper en deux. Donc quand les choses ne vont pas bien dans la vie professionnelle, ça a toujours des répercussions sur notre vie personnelle. Quand j’étais au bord du burn-out en 2017, je rentrais chez moi tous les soirs en pleurant, et à la maison c’était plus compliqué.

Légalement, l’entreprise est obligée d’assurer la santé et la sécurité de ses collaborateurs, donc c’est aussi bien d’aller plus loin. En termes de concurrence et de rétention des talents, c’est une question très importante.

Pour moi, le bonheur au travail signifie à la fois le fond et la forme. La forme, c’est les cours de yoga, les ateliers, la salle de sieste, la salle de jeux, les espaces de travail modernes et décorés. Et le fond, ce sont les valeurs incarnées par les employés, c’est l’écoute et le dialogue avec les dirigeants et les employés. C’est toute la culture de l’entreprise, la base du bonheur au travail. C’est sur cela qu’il est important de travailler.

Tu travailles plutôt avec le service des ressources humaines ou les managers ?

Ca dépend. Je travaille beaucoup par le biais de mon réseau, donc à chaque fois, j’ai un contact différent. Il peut s’agir du responsable évènementiel, du manager, de l’Office Manager, c’est très différent.

Et quand tu fais du coaching individuel, c’est aussi varié ?

Oui ! Ce sont soit des individus qui font appel à moi pour que je les aide à retrouver du sens dans leur job, et qui peuvent alors venir de tout secteur d’activité. Pour les coachings en entreprise, ce sont souvent les fondateurs, les RH, ou CHO qui mettent en place les sessions de coachings.

Il y a beaucoup de détracteurs du métier de CHO. Est-ce que tu as des personnes qui t’ont fait des remarques au sujet du bonheur au travail ?

Bien-sûr, mon mari pour commencer ! Il est anti-bonheur au travail et anti-travail tout court, donc quand je parle de bonheur au travail, forcément pour lui c’est antinomique. Il me rappelle souvent que le travail vient du latin Tripalium qui veut dire torture. On débat beaucoup là-dessus, c’est bien, ça me fait travailler mon discours !

Mis à part lui, je n’ai pas beaucoup de détracteurs. Parfois quand je dis ce que je fais, ça surprend et les personnes pensent « mais qu’est-ce qu’ils ont encore inventé ? » alors je leur explique. Les gens qui souffrent au travail aussi ne croient pas dans le Bonheur au Travail. Ce que je comprends. Un jour par exemple, un participant d’un atelier que j’animais faisais de nombreuses remarques acerbes. Quand je suis allée le voir, il m’a expliqué qu’il était au bout du rouleau, et à deux doigts du burn-out. Forcément, c’était difficile pour lui d’entendre parler de bonheur au travail.

C’est pour ça que j’ai voulu me former au coaching : pour ne pas laisser des personnes dans cette situation.

Pendant les ateliers, les personnes sont-elles impliquées ?

Oui oui, ils aiment beaucoup ça parce qu’il y a beaucoup de choses qu’ils ne savent pas. Florence Servan Schreiber est un peu la papesse de la Psychologie Positive en France. Elle l’a popularisée, et elle est très connue dans le domaine. Les gens qui l’ont lue ont donc quelques notions, mais pour les autres, c’est une vraie découverte d’apprendre qu’ils peuvent agir sur 40% de leur bonheur. Ou bien d’apprendre qu’ils ont 60 000 pensées par jour, dont 80 % sont des pensées négatives, alors comment les changer ? Les participants apprécient beaucoup ces ateliers parce que ce que je leur donne des clés pour leur vie personnelle aussi. Agir sur 40% de son bonheur par exemple, ça fonctionne sur le bonheur au travail mais aussi sur le bonheur en général, et ça c’est génial !

J’ai lu que cela pouvait être une source de culpabilité pour les personnes qui n’arrivaient pas à être heureuse.

Oui, la fameuse injonction au bonheur. Je pense que le Bonheur au Travail ne se décrète pas, ni pour soi ni pour les autres. Si je reprends le cas de mon mari par exemple, je ne vais pas l’obliger à être heureux au travail, ni même dans la vie en général, mais je peux simplement en parler en disant “ça existe et si tu veux, tu peux le faire”. Quand je fais mes ateliers, je travaille vraiment en intelligence collective et je ne donne pas une recette toute faite du bonheur au travail. Je leur dis : voici les faits scientifiques qui sont établis, évaluez votre niveau de bonheur. Quel est votre degré de satisfaction par rapport à l’ambiance ? Au cadre de travail ? Que voulez-vous changer ? Sur quoi voulez-vous travailler ? Que pouvez-vous faire différemment que vous n’avez jamais fait auparavant ? C’est de ça qu’il s’agit. Et si les gens ne veulent pas agir, on ne peut pas les forcer !

C’est en fonction de leur propre volonté ?

Exactement !

Merci beaucoup d’avoir répondu à toutes mes questions !

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